Il s’agit de danser sur le bord de l’abîme
ou de le recouvrir de fleurs.
Elie Faure
L’esprit des formes
un jour
elle s’est pendue à un fil à linge bleu
nos yeux furent griffés
grillés
par un gel très fort
tout ce que nous avions vu
su
est tombé en morceaux
nous avons assisté à cela
sans rien avoir pu arrêter
se forma l’abîme
le soleil continuait
à faire le ciel
ou la pluie selon
sans que cela nous atteigne
des jours, des mois, des années
puis nous avons bougé
avons fait un grand écart
sur la carte
du nord vers le sud
d’ouest en est
nouvelle terre
nouveau départ ?
est-il possible de se sortir
la tête de l’eau roide
et d’être ailleurs ?
dés arrivé ici même
nous nous mettons dans le paysage
les yeux y sont fortement réclamés
contrairement aux arbres
les yeux courent partout
voient partout de bonnes idées
des envies de ceci
des inclinaisons pour cela
quelques appétits pour ci et ça
la tête court toujours derrière
moins prompte et agile
elle s’essouffle
n’a pas le temps de
que déjà les yeux là, ci et ça
elle en perd un peu les pédales
ça se superpose, s’emmêle en elle
et tête se met à genoux
autant pour quémander une pause
que pour boire au robinet
au moins cela l’éloigne un peu de la fatigue
de la lasse et basse tête
des jours anciens
aujourd’hui
qui sait pour demain ?
nous allons poches retournées
à nos côtés pas le moindre petit chien
dans les mains juste rien
allons, nous éloignant
de l’apparence de celui qui fut
patientant d’être empli de lait, de pain
de quelques menues choses
écrites au crayon fin
là
une fourmi viendrait sur notre chaussure
que nous aurions peut-être science et patience
de lui apprendre à danser
nous avec
on avance
passe la porte
le portillon
on prend la pente
dans un sens, l’autre
on va
tentant de s’éloigner de soi
de se laisser adossé
là-bas contre la souche
en attendant
les mots
les mêmes
tournent et tournent
sous le crâne
se fatiguent
tournent moins
moins haut
moins large
cela forme finalement
un entonnoir dans le paysage
dans lequel lentement nous nous glissons
et puis quoi ?
assis à la table
nous attendons
que lune ou soleil éclaire la main
ou la déserte
la grande ourse
nous l’avons retrouvée
assez joliment couronnant
la cime des cèdres et cyprès
c’était hier au soir après chien et loup
voilà que nous revoilà un souvenir
que nous avons connu atlantique
pourvu du cri de la mouette
sauf que ce coup-ci
elle joue avec la voix de la hulotte
étrange zoo
où nous avançons
dans les aujourd’hui et les hier
cela nous fait petite piqûre de rappel
et nous devrons encore nous méfier
de la surface des choses et des êtres
qui nous tirent vers derrière
derrière
où se tient debout tout un monde
prêt à nous semer de durs cailloux partout
où nous ne retrouvons plus notre chemin
où les pieds se blessent jusqu’à la tête
le vent, décidément
nous ne le comprenons que peu
qui régulièrement nous vole dans les plumes
alors que nous ne ramassons que des feuilles devant la maison
cependant, étant de plus en mieux d’ici
ne craignant plus trop
de nous égratigner le cuir chevelu sur le ciel rebelle
nous nous redressons petit à petit
quand bien même nous n’arrivons qu’aux genoux des arbres
les feuilles nous en commençons une collection
en attendant un vol de poulpes méditerranéens
dont nous saurons bien récupérer l’encre
pour en parer les plumes de nos édredons
et alors là, bonjour la poésie d’ici même
et même si nous renversons l’encrier
le silence ne bouge pas
ne bronche pas la branche la plus menue
ne se lève pas sur ses coudes
le jardin allongé
même le soir d’encre
qui finalement vient
n’a rien à voir avec cela
ne se salissent que les blancs mouchoirs
que nous ne secouons plus
pour un petit peu de paix encore
seul
nous n’avons plus que notre tête
à manger en tête-à-tête
tête où rien à se mettre
sous la dent comme verbiage
et les os des dents bien souvent
craquent contre les os des dents
seul
on se demande parfois
si à ce régime-là
on se mangera tout le visage
sur cette rive
cette terre
le pas sonne moins creux
moins désespérément
nous lui faisons volontiers
son double dans notre cœur
où nous pouvons aller désormais
plus solidement
et puisque nous y sommes
à notre cœur nous offrons notre sourire
même si encore frêle
afin qu’il y fasse une clé
pour remonter nos deux trois boîtes à musique
qui ajoutent leurs rimes
à nos raisons
arriveront bien un jour des saisons
telles des pages blanches
où nous pourrons enfin entrer
nous asseoir à côté de notre main
qui lentement écrira les jours
leur mettra des chaussures neuves
afin qu’ils aillent s’agrandissant
les oiseaux du jardin
nous les avions vu au palais outre fleuve
posés sur des rinceaux de feuilles de vigne
depuis lors, comme sortant du chapeau magicien
ils s’en viennent nous surprendre ici même
en grand merci pour leurs chants
nous aimerions les bichonner, leur ressembler
mais non, prennent d’abord des attitudes
ensuite de l’altitude
finalement tant mieux
cela nous met un peu plus les pieds sur terre
un peu mieux du plomb dans la tête
trop volatile et trop prompte
à s’en aller au-dessus de la cime des arbres
où ne sont pas les établis, les forges
où nous avons à réparer tant de choses et autres encore
puisque oui c’est certain
nous avons encore à atteler notre vie à quelques bœufs
de l’eau doucement chauffe et frémit
en un coin tranquille du paysage
sous le regard du chien
qui ne dit mots
au loin le monde noir
notre début de siècle sanglant
s’éloigne, diminue
pas plus gros qu’un point petit
il sera bientôt mangé par les fourmis
on se sent pousser de grandes mains
capables d’accueillir en leurs coques
les litres de cette eau
pour le visage, le corps tout entier
les pensées, presque toutes
et le cœur
quand nous l’aurons sorti de la boîte noire
de la mémoire
….Et pourtant , malgré les semelles de plomb , elle est bonne cette chance inouïe de la folie utile qui , juste à temps , détache des mauvais endroits , des mauvaises rencontres , des inutiles palabres , des trop froids des trop chauds , des trop bas des trop hauts , ouvre le tunnel de sous la terre pour s’amuser à se perdre dans les racines , déploie la voie lactée dans le silence des pensées égarées , enveloppe l’âme d’amour pour que , enchantée , elle devienne légère légère
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