Littératerre

Littératerre

Il s’agit d’une écriture du présent, au présent, du lieu où je suis, du temps où j’en suis, écriture de l’ici-même maintenant…

Ecriture qui saisit un peu de paysage, tente de le transcrire, aime trouver les mots afin de rendre compte d’une distance, d’un changement de couleurs, aime poser un peu de grammaire pour signifier une clôture, une ouverture, une épaisseur…

Ecriture qui aborde un lieu, des êtres de ce lieu, à un moment donné, comme on débarque sur un littoral, mots qui passent un bord, arrivent, prennent pied, se trouvent, avancent, disent, se repèrent, trouvent d’autres mots…

Cela se fait avec toute la naïveté d’un premier regard, avec la simplicité de la découverte, ce sont des premiers mots comme des premiers pas, tout d’abord cela balbutie, puis cela prend de l’assurance, apprend et s’amplifie…

Extraits de « Quelques pas » livre écrit à Marvejols et qui sera publié par Jacques Brémond

Comme très souvent

(avant que nous ayons posé un premier regard)

(posé un premier regard et ramené à nous)

(ne sommes-nous pas ici pour cela ?)

(ramener et poser sur une feuille)

(avec une langue du bout des lèvres qui s’éloigne de la mort)

c’est la peau qui parle en premier

et soliloque que

oui

l’air est plus frais ici qu’en notre jardin

les yeux en sont comme plus mouillés

comme des brins d’herbe matin

plus frais ici

c’est qu’assurément

nous sommes plus loin des feus des déserts

plus proches des chambres froides du ciel

c’est aussi que le soleil d’ici

possède moins de temps

pour chauffer les pieds de l’air

émerge plus tard

d’au-dessus des bords de la cuvette

plonge plus tôt

et finalement

les yeux motus bouche cousue

comme des poissons


L’herbe est aveugle aux autres herbes

le roc est sourd muet aux autres rocs

l’eau est insensible à l’eau

nous le voyons

nous le savons

y-a-t-il là leçon à retenir

afin de tenir une chose nouvelle ?

cet aveuglement, cette surdité

ce mutisme, cette insensibilité

peuvent-ils mettre un coup de vent

en notre esprit ?

coup de vent

tel coup de frein ?

coup de frein

comme vitesse supplémentaire

afin d’atteindre au mieux ?

est-ce ainsi

que pourra aller

le premier regard ?


Alors que

nous serions quelque peu brouillés

avec nos yeux

s’ils ne savaient dire

où se lève le soleil

où il se couche

c’est déjà là

la moindre des choses

que nous leur demandons

au cas où

peut-être

nous perdrions le nord

eux sauraient sans doute

nous mener encore

même si sur des chemins mal agencés

des droites pas bien droites

des cris de clous

pourtant le poème

ne demande-t-il pas

que nous nous égarions ?

n’est-il pas préférable pour lui

que nous soyons égarés

en creux et failles

et voix sans issue

plutôt qu’en terres fertiles

bonne mine ?


Première nuit

de notre terrasse haute perchée

de nos souvenirs qui font mal

nous entendons des oiseaux

que ne savons nommer

à nouveau défaut de notre dico

misère de notre vocabulaire

petitesse de notre cerveau

étroitesse de nos volontés

nous sommes les analphabètes de ces lieux

les mots que nous possédons

n’alimentent qu’un feu bref

à la toute courte lueur

et le lustre que nous sommes sur terre

n’éclaire que peu nos alentours

pour l’heure

trop de mots

les nôtres

barrent notre regard

et le portillon du jardin

pour l’heure

trop de clous de trop de souvenirs

sont enfoncés en nous

pour que nous puissions bouger vraiment


Le ciel

à ici de hauts bords

vite herbeux

et arbreux

ne s’étale donc pas

le ciel

et le ciel

doit faire avec

sa profondeur

et c’est tout

ce qui fait

que l’oiseau

on ne le voit que peu

dans nos parages

juste au dernier moment

et encore

passe si vite

que pas sûr

c’est un choc sur les yeux

c’est encore un bonheur

qu’on s’acharne

à réinventer

qu’on aimerait mettre en travers

des souvenirs

là-bas

au fond de la solitude

le paysage

tout le paysage

est tout petit


Paysage a aussi pour nous

des images que nous retrouvons

dans nos rêveries en fête ou en détresse

que nous retrouvons en les incorporant

à d’autres images d’autres paysages

à d’autres images d’autres visages

que nous découpons

sans qu’il y ait de pointillés

que nous charcutons

sans anesthésie

paysage

vaste et faste bibliothèque

dont nous nous servons

pour illustrer nos conquêtes

autant que nos naufrages

paysage

pillé par nos soins

gaspillé pour nos besoins

paysage

que l’on modèle

de la forme de nos nombrils


Il a plu cette nuit

cela que nous voyons

que nous savons

et même sans y aller

nous nous racontons que la route

a l’odeur du goudron mouillé

suffisance

satiété

alors qu’ignorants nous ignorons

si un oiseau a traversé la chaussée du ciel

si un fauve a bondi à travers les branchages

si une belle était au bois dormant

si un être s’est pendu à un réverbère

indifférence

insensibilité

pour un peu

nous referions le monde

à l’alphabet de nos petites histoires

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