Apéro (début)

Quant aux glaçons on ne négligera pas d’en avoir toujours par-devers soi dans le freezer, ça serait trop bête d’en manquer et de boire tiède, de fait l’apéro demande plus d’art et d’anticipation et de préparation que d’être ogre, être ogre ne nécessite pas de mettre des glaçons au frais au préalable, c’est de l’impro, être ogre, c’est du va comme je te mange, ça n’a ni l’art ni la manière, un ogre, un ogre juste ça avale tout rond sans préparation, ça croque la vie n’importe comment à n’importe quelle température alors que l’apéro, non, cela nécessite la bonne température qu’apportent les glaçons, c’est pourquoi on ne négligera jamais de remplir le petit bac même si c’est pas aisé aisé de ne pas en mettre par terre, alors que l’ogre

 


 

A l’apéro des fois comme ça on abuse un peu et les lettres se mélangent gentiment et voilà qu’on se met à l’opéra, on soprano, on barytone et claironne, tous les voisins sont au courant et les chiens des alentours nous accompagnent de quelques vocalises plutôt cacophoniques, qu’on nous pardonne, c’est sans doute que la vie de ce jour était trop désaccordées, qu’elle nous a éloigné de nos violons d’Ingre et qu’elle s’y est entendue deux fois plutôt qu’une à nous envoyer dans la fosse commune, alors apéro riposte, opéra réparation, on raboute le désarticulé, on se met des paillettes, on bizette fleurette, et wagnère tonnerre, et Mozart corneillard, ô apéro opéra qui opère à gorge ouverte, ô opéra en paréo

 


 

A l’apéro c’est parfois moins le petit blanc qui nous tourne la tête que les apéricubes, c’est vrai ça, d’abord il y a les questions et ensuite il y a que les réponses sont écrites à l’envers, on tourne et retourne les p’tit papiers jusqu’au moment où c’est la tête qui se tourbillonne toute seule, et puis les questions coupées ça aussi ça nous chamboule les méninges et la tête avec, c’est à n’en plus finir, quels sont les pays qui ? qui quoi ? qui sont voisins de ? qui sont traversés par le fleuve Danube ? qui ont un pnb supérieur à celui du Royaume du Bhoutan ? qui causent l’espagnol ? qui ont ? qui sont, qui font ? franchement les apirécubes, les upéracibes, les cépuricabes, les machins carrés au fromage mieux vaut éviter si on veut vivre les pieds sur terre

 


 

 

Parfois arrivé à l’heure de l’apéro on se retourne et on constate qu’une nouvelle fois il n’y a nulle trace de notre passage tout au long de la sainte journée où on vient pourtant de passer, non, rien, rien de rien, pas même une petite branche cassée, même pas la salive d’un mot, que dalle, c’est l’heure d’arrêter le fléau et de se mettre un peu de baume au cœur, de se redonner des couleurs et une forme, c’est de la sauvegarde perso, et comme le corps c’est du sucré salé, sucré du cœur, salé du reste, on se fait un wiski cacahuètes, voilà de quoi nous sauver, voilà qui va nous permettre de retourner demain sur les chemins, en attendant, wiski cacahuètes jusqu’à plus soif, jusqu’à plus faim, jusqu’à oublier ce jour qui nous a bel et mal oublié, à la notre

 


 

L’heure du trop plein de la journée qui est en réalité un grand vide est l’heure scientifique de l’apéro, qu’on en juge un peu, se remplir alors d’anisette est bien alors se vider du trop plein des scories du jour, un verre de rouge, adieu veaux, vaches, patrons qui se sont mis en travers de notre chemin, un verre d’anisette, ciao métro, boulot, dodo, un verre de rouge et le niveau est assez conséquent pour que vogue notre goélette, se remplissant on se vide, se vidant on navigue, addition devient soustraction et multiplication devient division, nous entrons en de nouveaux domaines de nouveaux possibles, demain nous serons moins nos intérimaires, après-demain nous inverserons la course en sens unique de la vermine

 


 

Dubo, Dubon, Dubonnet, Dupo, Dupon, Duponnet, Dumo, Dumon, Dumonnet, Dufo, Dufon, Dufonnet, Duco, Ducon, Duconnet, Dublo, Dublon, Dublonnet, j’emmerde Duclo, Duclon, Duclonnet, je compisse Dupont, Durand, Dumerdier, j’envoie dans les orties de la vie Duno, Dunon, Dunonnet, et viens, viens, Dubo, Dubon, Dubonnet, viens, viens quinine ma frangine, quinine ma copine, et palu pas vu pas pris, pas palu, palu plus, palu pâlot pas piqué moi, palu pas vu pas pris, allez quinine bibine, quinine copine frangine coquine, viens, viens m’extraire de la galère des misères, viens, viens me sortir de la vermine mauvaise mine, viens quinine, et que mon haleine fasse de mes alentours un paradis sur terre et mer

 


 

A l’apéro aux enfants on leur donne un bol de monster munch et une bouteille de Coca zéro, c’est qu’à l’apéro on ne mélange pas les petits et les grands, d’abord parce que les enfants s’ennuient à l’apéro, ensuite c’est pour qu’ils soient tranquilles, c’est vrai ça, comme ça ils peuvent causer de ce qu’ils veulent, même lorsque les enfants sont un enfant alors l’enfant peut se causer de ce qu’il veut, il peut se causer de sa journée à l’école ou de sa journée à l’accrobranche, il peut sciemment se demander pourquoi accrobranche prend deux c alors qu’acrobatique n’en a qu’un, c’est vrai ça, mais bon accrocher en a deux lui aussi, oui d’accord mais accrobranche vient étymologiquement de acrobatie et branche alors pourquoi hein ?

 


 

Quand la vie bat bas de l’aile, quand la vie se crotte aux mottes rince-toi la glotte, quand la vie est eau-de-vie tarie, bar tabac fermé, quand le sens de la vie est vent mauvais, quand son blabla fait de la gangue, mouille-toi la langue, quand le parfum des pensées poisse d’angoisse, lorsque tes semelles sont galères, mouille tes molaires, te laisse pas aller au jus d’évier, si ce qui tu aimes fléchit du buste, perd sa vitesse, son allégresse, invite-le à l’agile d’une mousse, au gracile de l’apéro, oui, bois deux trois p’tits coups, laisse la langue se défaire et parler avec les mains et dire plus vite que la vitesse de la lumière noire de la mélancolie, dire plus fort, plus vif que la parole qui dans sa salive te fait plus frêle et faible qu’une bulle qui

 


 

 

Ça y est enfin c’est l’heure enfin quand c’est qu’on se verse un p’tit jaune, même que se fait alors un petit arc-en-ciel, c’est qu’après les averses de la journée où on en a vu de toutes les couleurs grises on se verse un petit coup de soleil et que se forme un petit arc-en-ciel aux couleurs joliment agencées, petit arc de ciel, petit arc de cercle qu’on se pose sur les bobos aux genoux, les égratignures au chagrin, les bleus au bonheur, les noirs aux idées, sûr c’est pas grand chose, c’est du pansement cache-misère, de l’arbre qui cache l’hiver, mais faut bien respirer un peu, faut bien se dératatiner les poumons, se cajoler un peu les plis de la caboche, c’est pour ça le p’tit jaune, sans quoi on serait tout gris, tout malingre et chagringre

 


 

Il ne faut pas tarder, pas perdre de temps, pas perdre ne serait-ce qu’une seconde, c’est que la besogne est d’importance, c’est que c’est là maintenant, diligemment l’heure de se tailler les armes pour affronter la nuit et ses trucs et machins de la nuit des temps, pointes de silex, gourdins et flèches curare voilà notre panoplie que chaque soir il nous faut apprêter sans tarder, dès l’apéro nous quittons la clinquante, pimpante, affriolante panoplie du jour et nous nous préparons à affronter la nuit, ses démons Cro Magnons, ses bisons crocs devant, vite préparons les armes adéquates, surtout ne pas être pris au dépourvu, c’est que le combat est rude qui nous laisserait sur la descente de lit si nous n’y prenions garde, c’est comme ça, c’est tout

 


 

On s’arrête, on marque une pose, on se cause de la journée, de la journée passée, pas encore tout à fait trépassée, on la cause, elle est encore un peu vivante sur la langue, nous y sommes encore un peu vivants, ai fait ceci, ai vu untel, ai entendu cela, tu as pensé à l’ogre ? que cela va vite, que cela défile rapide, des jours et des jours qui passent, trépassent, si vite, tant trop vite, à l’apéro on résiste un peu, on revient chouia en arrière, ai pensé que, ai réussi à, tu as entendu ce qui ? que cela dure encore un petit peu, petit rembobinage, petit freinage sur la piste qui glisse, où l’on glisse, que cela va vite, tant toujours de plus en plus semble-t-il, bien que nous tentions de freiner des quatre fers sur la toile cirée, rien à faire, tout s’en va au désert

 


 

 

Et que vogue la galère notre galère, nous on s’en fiche comme de l’an 40, nous on est devant notre kir royal, on s’arrête, on n’est pas des marathon man, pas des hamsters dans la roue, derrière nous plus d’autobiographie et on en est comme tout nu luisant mouillé de naissance, on plonge dans le verre, on s’est fait un tuba avec la paille, l’onde nous entoure, c’est beau à voir, on se donne la main dans la main, on est notre complice, notre frère de plongé, on a sans doute une mère et un père qui sont des poissons, c’est chouette, sous l’eau on a plus rien à dire, ça repose, on slalome entre les algues, on se fait des pirouettes, on s’invente des prouesses, on rit dans des bulles à la queue leu leu, on se fait une grande nage qui dessine une colombe

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