Montées de la cave
des temps du monde
les pierres des grandes histoires
arrivées à la surface
laissent surgir
des éclats de lumière
c’est un éblouissement discret
un murmure très simple
qui ne témoigne d’aucun meurtre
de bisons, de soldats ou d’anges
juste silence
sur la face d’une façade
là où se lève le soleil
le visage de pierre d’un enfant
joues gonflées
sur quoi va-t-il souffler ?
grandes voiles de grand navire
orgueil, tristesse
homme qui flageole
homme qui s’envole ?
et partout
d’autres pierres encore
qui portent déjà en elles
le visage, la hanche, le sein
le souffle de l’enfant
pierres dont le lait
envahit nos songes
afin que nous le récoltions
et sachions extraire d’elles
le visage, le corps, le navire
le souffle dans ses voiles
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Traversant la ville
le fleuve n’est plus chez lui
aussi ferme-t-il les yeux
se bouche-t-il les écoutilles
l’œil du promeneur du quai
ne pourra ainsi y voir
le reflet des platanes d’amont
les ronds dans l’eau d’un oiseau
que les eaux ont conservés en mémoire
cependant il va, le fleuve
il a les forces pour continuer
puisque c’est aux prochains arbres qu’il se rend
puisqu’il a rendez-vous avec l’hirondelle
et toujours cette obstination
en son cerveau sous les eaux
jamais il ne flanche
jamais il n’en a cure
tel en une apnée du désir
retenant ses gestes et pensées
endurant, patientant
centré, obstiné
et ses eaux sont une encre
qui écrira les demains
sur petits bateaux en papiers
à naviguer toutes voix dehors
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Et quelle joyeuseté
que le miroir d’eau
voici que le passant a son double
comme sur le jeu de cartes
le couple s’y arrêtant
s’y mire dame et roi de cœur
on s’y embrasse en apnée
cela fait ribambelles de bulles
et c’est aussi le bruit des voix
qui y file plus vite
ainsi venaient les rêves
en nos primes années
les eaux ici
tutoient, donnent la main
tatouées de ciel
on y voit passer les avions
comme des sous-marins
y file presto le dimanche
et le restant de la semaine
y flottent très bien
nos gueules de bois
nous sommes des Jésus
à marcher sur les eaux
quant à la multiplication des pains
c’est chez le boulanger que ça se passe
Viennent toutes seules
et poussent des herbes
que l’on nomme mauvaises
comme les cauchemars
notre nature toute humaine
se trouve là aussi
aussi nulle hésitation
à la fouler aux pieds
que cela baisse la tête
que cela disparaisse
beaucoup plus haut
le ciel invente des oiseaux
que nous convoquons en nos têtes
à mettre des ailes à nos pensées
entre les deux
sur le bord du toit
la lumière hésite
à franchir le pas
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De la nature il y en a partout
mais aussi partout c’est la loi de la jungle
entre pare-chocs et pneus pas good year
y’a qu’à regarder le pigeon
rétrécit en blinis c’est fini
y’a qu’à mater le matou
transformé en flaque patraque
y’a qu’à lire la liste des tamponnés
dans le Sud-Ouest pire qu’au far west
tous les jours les ambulances en cadence
percent l’avenue en slalomant
transpercent les tympans en tonitruant
coupent en deux le moindre rêve
c’est que ça rigole pas la bagnole
ça badine pas avec la vie le tram
ça fait pas un pli le tégévé
tu passes ou tu casses, trépasses
et te voilà au boulevard des allongés
avec ta mort qui t’a fait une queue de poisson
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Le fleuve s’écrit dans les deux sens
il est le lieu des mots de la source
et des mots de l’océan
qui s’unissent pour faire des pages
que nous ne savons lire
c’est que nos yeux ne savent épeler
à la fois le passé et l’avenir
c’est que nos vies
sont tout juste à peine présentes
réfléchie, attentive
est l’heure du fleuve
sans aucune mesure
avec nos piètres pensées
puis chaque soir
l’avancée de la nuit
recouvre les eaux
désormais lisses et muettes
et parfois
ce n’est pas nous qui parlons
mais une voix
faite de toutes les voix
et soudain alors
la terre toute entière
visible, dicible
sous une plume
sur un papier