Les écritures in situ se font de deux façons : soit par des portraits de personnes que je rencontre durant trois minutes et qui me laissent une demie heure pour réaliser leur photopoème et le leur offrir ensuite (aussi l’afficher, le lire en public…) soit par observation du paysage qui est là, juste devant mes yeux, que je regarde autant de temps que je le veux et à qui j’offre quelques pages de poésie, et ceci se nomme littératerre. J’ai réalisé tout ceci un peu partout en France, à la ville comme à la campagne, sur les plages de Marseille comme dans une galerie marchande de Toulouse, en neurologie comme en psychiatrie, dans des bars, sur des places de villages… (ceci pour les photopoèmes). Pour littératerrre j’ai pu le faire à Marvejols et à Agde, un autre se prépare mais c’est à suivre…
Ci-dessous des photopoèmes réalisés à Nantes pour le festival MidiMinuit et quelques pages du littératerre fait à Marvejols.
Nantes
Ariane
elle
et quelques cheveux
qui ne sont pas mis dans la barrette
cela fait sur sa tête un toit
où le vent est là un peu
vent océan
qui est là un peu aussi
sur la vitre des yeux qu’il balaie
et où cela met un peu
de lumière supplémentaire
au petit jour qui est là
et sous le foulard
dans sa gorge
un sentier bordé de quelques mouettes
d’où arrivent quelques histoires de large
dans toute sa voix portée par du soleil
et ce matin
pas de sable en elle
déjà pas le sablier qui coule
et compte le temps
non
en elle ce matin
encore un peu de ce sable
de plage
de page
où écrire ce qui se fera
Tatiane
elle
qui donnera sa main
comme un fruit
ou comme une page entière et blanche
à l’enfant
le sien
quand il viendra
dans les vies toutes les vies
qui sont la vie
le fruit pour la soif
la page entière et blanche
où prend appuie ce qui se rêve
ce qui s’oublie
ce qui s’invente
elle
matin
et comme que de l’air dans ses alentours
de l’air et le vœux de l’enfant
vœux qui est un arbre
peuplier plutôt que chêne
plume plutôt que masse
encre plutôt que poids
puisque les vœux sont ainsi
qu’ils se murmurent au ciel
plutôt qu’ils se gravent en roche
Olivier
il
et ses mains vont
et ses mains font
homme qui fait
et sait
que nous avons plusieurs mains
mains qui bâtissent
mains qui ouvrent
mains qui trouvent
et qui et qui…
homme
qui jamais n’a été tenté
et qui jamais n’a tenté
de mettre ses pas
dans des pas trop longs pour lui
et qui sait
que cette juste mesure
est celle qui fait le chemin
aussi long
que certain
Arzelle
elle
dans le chaud
de son manteau boutonné
jusqu’en haut
et le chaud dessous
et les cheveux dessus
ce blond long
sur du noir
elle
qui c’est certain
marche en suivant le sol et le ciel
soit le sol et son sel
soit le ciel et ses souffles
elle qui ainsi allant
découvre et sait
que sont parfois des lieux
où l’on ne s’attendait pas
des demeures où nous ignorions demeurer
et c’est ainsi qu’elle va
et c’est ainsi qu’elle vit
tandis que le blond long
des cheveux la précède
La liseuse
elle
lit la page qui est là
posée sur la table qui est là
et cela fait un murmure en elle
qui est sans doute
du pain, de l’eau, un sourire
tout cela qui porte et emporte
elle sait ce pain que sont les mots
cette eau que sont les phrases
qui portent et emportent
et ce sourire qui vient au bout
levant les yeux
elle pose les mots de la page
sur le monde qui est là
cela y ajoute une guirlande
ou un arbre tout haut
ou un sol tout entier
puis elle se lève
et va
dans ce nouveau monde qui est là
Magali
d’un regard elle survole les poètes
c’est qu’elle sait
qu’ils sont des oiseaux
des oiseaux messagers
et que son regard est la branche
où ils viennent parfois se poser
elle sait aussi
que c’est en soi-même que l’on s’abrite
que l’on soit sur la branche
ou sur la terre
ou dans tous les ciels du ciel
et elle sait encore
que c’est en soi-même
que le poète va chercher
et la branche et la terre
et tous les ciels du ciel
qu’il pose dans un grand seau
sans cesse trop vide
elle n’ignore pas plus
qu’il suffit d’une branche
pour faire un chant d’oiseau
qui remplit les alentours
ou repousse le cri de l’oiseau
ou appelle l’homme
et son seau et ses plumes
Marvejols
Comme très souvent
(avant que nous ayons posé un premier regard)
(posé un premier regard et ramené à nous)
(ne sommes-nous pas ici pour cela ?)
(ramener et poser sur une feuille)
c’est la peau qui parle en premier
et soliloque que
oui
l’air est plus frais ici qu’en notre jardin
les yeux en sont comme plus mouillés
comme des brins d’herbe matin
plus frais ici
c’est qu’assurément
nous sommes plus loin des feus des déserts
plus proches des chambres froides du ciel
c’est aussi que le soleil d’ici
possède moins de temps
pour chauffer les pieds de l’air
émerge plus tard
d’au-dessus des bords de la cuvette
plonge plus tôt
et finalement
les yeux motus bouche cousue
comme des poissons
L’herbe est aveugle aux autres herbes
le roc est sourd muet aux autres rocs
l’eau est insensible à l’eau
nous le voyons
nous le savons
y-a-t-il là leçon à retenir
afin de tenir une chose nouvelle ?
cet aveuglement, cette surdité
ce mutisme, cette insensibilité
peuvent-ils mettre un coup de vent
en notre esprit ?
coup de vent
tel coup de frein ?
coup de frein
comme vitesse supplémentaire
afin d’atteindre au mieux ?
est-ce ainsi
que pourra aller
le premier regard ?
Alors que
nous serions quelque peu brouillés
avec nos yeux
s’ils ne savaient dire
où se lève le soleil
où il se couche
c’est déjà là
la moindre des choses
que nous leur demandons
au cas où
peut-être
nous perdrions le nord
eux sauraient sans doute
nous mener encore
même si sur des chemins mal agencés
des droites pas bien droites
pourtant le poème
ne demande-t-il pas
que nous nous égarions ?
n’est-il pas préférable pour lui
que nous soyons égarés
en creux et failles
et voix sans issue
plutôt qu’en terres fertiles
bonne mine ?
Première nuit
de notre terrasse haute perchée
nous entendons des oiseaux
que ne savons nommer
à nouveau défaut de notre dico
misère de notre vocabulaire
petitesse de notre cerveau
étroitesse de nos volontés
nous sommes les analphabètes de ces lieux
les mots que nous possédons
n’alimentent qu’un feu bref
à la toute courte lueur
et le lustre que nous sommes sur terre
n’éclaire que peu nos alentours
pour l’heure
trop de mots
les nôtres
barrent notre regard
et le portillon du jardin
Le ciel
à ici de hauts bords
vite herbeux
et arbreux
ne s’étale donc pas
le ciel
et le ciel
doit faire avec
sa profondeur
et c’est tout
ce qui fait
que l’oiseau
on ne le voit que peu
dans nos parages
juste au dernier moment
et encore
passe si vite
que pas sûr
c’est un choc sur les yeux
c’est encore un bonheur
qu’on s’acharne
à réinventer
là-bas
au fond de la solitude
le paysage
tout le paysage
est tout petit
Paysage a aussi pour nous
des images que nous retrouvons
dans nos rêveries en fête ou en détresse
que nous retrouvons en les incorporant
à d’autres images d’autres paysages
à d’autres images d’autres visages
que nous découpons
sans qu’il y ait de pointillés
que nous charcutons
sans anesthésie
paysage
vaste et faste bibliothèque
dont nous nous servons
pour illustrer nos conquêtes
autant que nos naufrages
paysage
pillé par nos soins
gaspillé pour nos besoins