Boomerang (début)

Et voilà que maintenant il pleut sur mes os

voilà qu’arrive dans le visible du jamais vu, entendu, su

que surgit du mort dans le vivant

et l’eau tombe oblique, sans s’arrêter, dont le rideau de pluie m’empêche de voir l’origine nuageuse, orageuse ou calamiteuse

juste quelque chose m’arrive

et plus certainement me revient

qui me percute / perce / persécute les os

et bien piètre, pâle squelette je suis, qui n’ignore nullement qu’il lui faudrait se lever et passer entre les gouttes s’il veut retrouver un peu de vie

c’est à dire

échapper à ce rendez-vous de boomerang

 

Ce n’est pas forcément sur un vaste et plan terrain nu

que me vient boomerang

ce n’est pas nécessairement sur un bras sec de Loire qu’il réapparaît, ou sur une plage Atlantique, ou par-dessus la table qu’il surgit, ou dans l’air que nous respirons

non

juste une petite fissure à la mémoire pas bien closes, aux souvenirs mal agencés, suffisent à son passage

très peu d’espace pour sa catapulte

juste très peu de perspective après la raison

qui

rafale de noir aux yeux jusqu’à

 

Et j’ai cru à un passé bel et très bien épinglé sur le tableau de liège des souvenirs, à un passé mis à sécher bien à plat entre les pages de l’herbier, ou noir et blanc bien aligné sur les pages des histoires

oui

les plaies arrachées

les plaintes ratissées

oui

j’ai cru aux chimies, aux alchimies, à l’immédiat, aux chiffons qui transforment les hier, tous les hier en rien du tout, le vert des yeux et le sang des êtres et des choses en poussière, en poussière de poussière dans le lointain très lointain où le vent de travers

oui

j’ai cru que seul le but que l’on poursuit, et qui est en avant de nous, se rapproche de nous

cependant les images abondent

les mots foncent

sont de noirs cailloux sur la langue, dans la langue

la pensée pèse

la douleur ne cesse

 

C’est matin

je pars alors que le soleil se lève, à peine est-il monté qu’il redescend ne laissant que du noir, noir froid, calamiteux, toxique, noir collant et étouffant comme suie / goudron / rendez-vous des chasseurs / des clameurs / vie en mille morceaux

et qui n’est pas en dehors moi

les arbres de ce printemps brillent, le jardin est là, vert et jaune et courbe, il est toujours le rendez-vous des oiseaux

c’est en moi

donc

que s’est couché le soleil

c’est mon soleil

donc

qui s’en est allé de moi

et j’aurai beau tendre les mains en avant

beau élever l’intelligible comme garde-fou

je ne pourrai ni éviter le noir ni ne pas le heurter

il sera toujours plus aigu

tandis que déjà il me défait à l’intérieur

 

On ne m’avait pas dit

on ne m’avait pas appris

on ne m’avait appris que cela, et j’avais pu le voir et le savoir à maintes occasions

les cailloux ne font que ronds dans l’eau, ronds qui vont en s’élargissant, certes, mais en disparaissant simultanément

on ne m’avait pas dit que le caillou

je n’étais pas allé voir

je n’avais jamais eu la lucidité de penser que le caillou

de penser et de me dire en conscience que le caillou subsistait dans le lit du canal

c’est ainsi qu’un jour en moi

tandis que je dévalais déjà la pente qui m’avalait

puisque j’étais déjà la pente