Kong
marche tout le long d’une nudité
fréquente la solitude
en fait un vaste usage
Kong est celui qui marche et parle
est celui qui parlant n’affirme pas
mais s’interroge :
cette aventure solitaire le long des dépouillements
est-elle vraiment agissante sur le monde ?
suis-je celui qui apprend ou celui qui transmet ?
celui qui reçoit ou celui qui donne ?
outre ceci
suis-je vraiment cela ?
ne vais-je pas apprendre de moi-même ?
n’ai-je pas un dépôt de dynamite à l’intérieur de moi comme quelques uns de nous tous ?
il dit ceci
nous l’entendons
le disons aussi
aussi nous interrogeons
Kong ?
Kong
non pas né des orages
ni des carnages
Kong
non pas sorti des pénuries
ni des infamies
surtout pas parvenu
d’une petite statue en mie de pain
sortie des mains du cinéaste américain, Willis O’Brien, pionnier des effets spéciaux, durant une pause dans le bureau de l’architecte principal de l’exposition universelle de San Francisco, 1915
Kong
du printemps
sorti du printemps
un oiseau est venu se poser bien debout et vertical sur mon nez
pas un colibri d’Hollywood
pas le pivert des cartoons
un vrai oiseau avec son chant écrit à la plume
avec ses plumes dessinées de la main de Dieu
Kong
né au lieu dit
de l’île du Crâne
en araméen, gulgota, crâne
en grec, golgotha, calvaire
Kong qui passe prime jeunesse dans la forêt des premiers âges du monde
où les arbres sont rois
où l’air chaud, épais, nonchalant laisse à peine passer un soleil dont les morceaux ne sont d’aucune joie
Kong grandit sous ce triste soleil
dans la cohue des branches et des roches
dans la confusion d’un monde où garder le nord est impossible
où sans cesse on se bute aux obstacles
où toujours et partout des brumes douces et serviables proposent de prendre par la main et de mener très loin
où toujours des falaises à descendre ou à gravir
à croire qu’avancer encore est maintenant impossible
à croire que quelques sorcelleries agissent et sont néfastes
sorcelleries du dehors
ou du dedans de soi ?
Kong qui connaît par l’ongle et la dent l’écorce du baobab
connaît par cœur la faiblesse de la branche du baobab
Kong qui connaît par l’ongle et la dent le tyrannosaure, le coelurus, le ceratosaurus, le mononycus
connaît par cœur la faiblesse de la mâchoire inférieure du tyrannosaure, la faiblesse du cou du coelurus, la faiblesse de combat du ceratosaurus et du mononycus
Kong qui connaît par l’œil les dessous de la star made in Hollywood Fay Wray alias Jessica Lange alias Ann Darrow
Kong qui connaît toutes les fenêtres et tous les appuis de fenêtre de l’Empire State Building made in New York 1931, 381 mètres, 102 étages
Kong qui connaît toutes les fenêtres et tous les appuis de fenêtre de World Trade Center made in New York 1973, 4 avril, 417 mètres, à ses niveaux 5, 7 et 8 plusieurs réservoirs de 1041 litres d’essence pour les générateurs, un réservoir de 22 700 litres aux niveaux 2 et 3, au rez-de-chaussée un réservoir de 22 700 litres et deux de 45 425 litres
Kong est vivant
vit dans la majesté de la forêt où les branches ploient sous une foule d’oiseaux fous
vit dans la férocité des hier de la nuit des temps
vit dans le plus simple appareil de ses poils
dans le plus simple appareil de son âme
vit sans avoir aucune racines à ses yeux et à ses oreilles
aveugle et sourd de passé
vit sans se demander pour l’heure d’où lui viennent ses sentiments
sans se demander si l’océan est un fleuve circulaire pareil au serpent quand il dort
mais serpent tout de même par où arrivent tant de dangers
vit sans se demander si on mange l’âme du tyrannosaure en même temps que sa chair
sans pour le moment voir qu’il est déjà passé ici alors que les pas de sa tête étaient plus légers
vis, Kong, vis
sans pour l’heure te poser les questions qui harponnent et happent
Kong et ses 25 fois 1000 kilos, ses 25 fois 1000 fois 1 kilos
Kong et son corps lourd et gauche, sac peu souple, peu maniable, absolument incommode
corps trop grand, trop chargé, trop peu de marge en articulation, pas assez de vent dans les branches, pas assez d’étoiles dans les mains
pas effectivement délesté
vers le bas
penchant vers le bas où cela rampe, où cela prolifère dans les misères et les mauvaisements, où cela creuse sa tombe
trop de crocs, Kong, trop de griffes
et son âme incapable de soulever tout cela
trop de sécrétions, trop d’aigres sueurs, de chairs à vif trop
et toutes les larmes de Kong bloquées en son corps d’où viennent des tressaillements qui ne servent à rien, des rictus qui disent le contraire, des colères qui laissent Kong hébété et désappointé et coupé en deux
d’un côté, ses lacs de larmes
de l’autre, son corps
et lui, entre, ne pouvant les concilier, ne sachant les accommoder, vivant dans les brouillards, dans une soupe obscure, un désappointement des boussoles
et comment ne pas chuter ?
comment continuer quand on a de tels gestes leurs contraires inclus ?
comment aller quand on est tant tiré par le dos ?
comment se lier à soi-même quand on est séparé par son double plein d’ombre et de cendres ?
comment faire quand on est sans cesse défait ?
comment continuer lorsqu’on est atteint jusqu’à son fœtus ?
faute d’être de la bonne espèce élue
Kong dépourvu de parole
mais pas de voix
Kong n’étant pourvu de ce don de parole
qui exprime quelques courants de lumière frémissante
ou qui extirpe des obscurités du cœur
ou paroles ailées qui font que nous et notre corps pesons le demi gramme précis de la plume
ou paroles telles l’œil de la bouche et qui voient ce qui ne se voit
mais Kong non dépourvu de voix
et dont nous sentons à l’entendre
que ce serait vraiment tant mieux s’il pouvait parler, lâcher des mots dans l’air, envoyer des mots à terre
cela lui permettrait de dire l’envie et l’admiration
de dire la détresse et la passion
qu’il reçoit en plein cœur en brûlures et flèches du dehors
et ne peuvent plus sortir de lui
fiché que c’est en lui
ancré que c’est partout en lui
Kong qui ne peut aller dans les mots, qui n’a pas de mots disponibles, qui ne peut y séjourner comme en un bivouac sous des étoiles à lire, qui ne peut s’y voir, s’y entendre, qui ne peut tenter de s’approcher de lui par leur entremise
Kong qui demeure dans sa pauvre carcasse analphabète, n’ayant jamais de nouvelles de lui, chaque jour se recommençant comme si l’autre derrière lui rondement avalé
néanmoins Kong non dépourvu de voix
et nous t’entendons Kong
nous entendons ton étrange extravagance d’émotion
ta colossale avalanche de sons
qu’il te faut sortir en mille litres d’air et de décibels
et pourtant cela ne sort pas
cela demeure en ta demeure
où les mots tant absents ne forgent pas les clés qui te manquent