très grand gel (début)

Très grand gel capable de casser l’acier, de faire succomber les nerfs les mieux trempés, très grand gel carnassier, très grand gel venu, sans qu’aucune vigie n’ait pu le prédire, sans que nous ayons vu fuir aucun animal à son approche, sans qu’il nous ait été possible d’entendre son bruit de faux, et aucune lampe ne s’est éteinte alors que son haleine puis son souffle abordaient, aucun os n’a émis le moindre craquement, rien ne s’est ouvert ou fermé, rien ne s’est levé ou assis, n’a changé de voix ou de couleurs, rien ne s’est manifesté et qui aurait pu donner l’alerte

 

 

personne dès lors n’a le temps de fermer une porte, de boucher le plus petit interstice, de se calfeutrer un os afin de l’isoler des morsures, n’a le temps d’obstruer un bout de mémoire afin de le protéger et de le garder pour les demain, nul être n’a l’opportunité de tendre une main, n’a la possibilité de naître en une conscience qui le ferait se lever et faire barrage en peuplant ses yeux d’êtres de discordes qui lèveraient le poing à très grand gel qui arrive, qui pousseraient en avant d’eux une grande haleine chaude, haleine chaude, ou pensées, pensées comme des murs, pensées comme contre-feux, comme contrepoisons

 

 

très grand gel est là, une violence telle qu’elle change instantanément jusqu’aux lits des animaux, des plantes et des hommes, laissant dans chacun d’eux place glaciale au côté de leurs côtes, ouvrant en deux le tronc du très vieil arbre, cisaillant en deux jusqu’à ses ultimes feuilles sèches qu’aucun vent fort n’avait pourtant jusqu’à présent arrachées et fait chuter

 

 

très grand gel brisant menu les têtes même pas violacées de peur tant cela fut expéditif, très grand gel dont la force est précise comme le scalpel, imminente comme la cendre de seconde, qui arrive et agit simultanément, qui exulte en même temps qu’il naît en même temps qu’il pratique déjà en même temps qu’il a achevé déjà de tout achever, et chez l’humain assailli, comme chez l’animal ou l’acier ou le chêne agressés, aucun nerf n’a le temps d’agir en aucun œil afin de pouvoir le voir, ce qui est si loin de le savoir

 

 

fin de tout, au commencement du début de lui

 

 

instantanément, pour les survivants, les marches de la maison sont plus hautes, plus serrées, plus larges sont les boues, les sédiments des âges grippent et coincent les articulations, plus aucun levain de pensée n’existe, la tête se charge de larmes, le ballon des enfants est là-bas dans les grandes herbes, apparaît une multitude de labyrinthes tandis que la terre entaillée de fissures laisse entendre les mouvements incessants de ses laves qui ne sont rien d’autre que la locution des instincts les plus sordides

 

 

très grand gel, qu’il n’y ait aucune confusion, non pas né des cellules des armes, non pas sorti des cavités ou des pics de la terre, mais surgi des atomes même des humains

 

 

très grand gel, c’est aujourd’hui que très grand gel se hâte, fonce, franchit les frontières puis mutisme, décapite les paysages puis silence, tranche l’acier, défigure les figures, détruit l’avenir, grande œuvre de très grand gel dont la longue ligne droite ne connaît aucun obstacle, aucune faiblesse

 


 

 

Puis cris, long cri, cri jamais poussé, jamais entendu, cri jamais vécu et que vivre est tel qu’il méduse et rompt toute alliance avec l’ancienne vie, cri que cri, cri sorti d’un instinct extrême et immédiat, cri qui s’échappe de nos gorges avant que bouche n’ait le temps de s’ouvrir, avant que dents n’aient le temps de faire place, cri plein des projectiles des dents, bourré des gravas des langues comme autant de balles qui mitraillent et déchiquettent ce et ceux qui étaient encore debout, explosion du cri qui fait de nous des reflets torturés

 

très grand gel arrivé de partout, en même temps que très grand cri monté de partout, très grand gel multipliant son ravage par le carnage du cri, très grand gel amplifiant sa destruction par nos propres dévastations, très grand gel dont le pouvoir est interminable, dont les moyens se découvriront au fur et à mesure, cela qui est déjà à voir et à savoir à présent, cela qui est à ingérer dès maintenant quand bien même l’intégrer est aussi supplice de très grand gel dont l’efficacité est véritablement aiguisée

 

 

équinoxe du cri, l’univers en est plein à ras bord, les vagues y montent haut et fort, y ravagent tout dans les rues des étoiles, le blé du pain de demain est arraché, sont dispersées et brisées les pierres que nous avions semées pour nous retrouver, les draps blancs étendus au fil à linge ont recouvert la statue que nous chérissions et dont le doigt tendu nous donnait les quelques bonnes directions qui nous étaient imparties et que nous nous étions forgées, les fantômes sont maintenant partout là à nous encercler, à nous encadrer, nous ordonner

 

 

et nous allons maintenant sous les mitrailles du cri, dans le cri des mitrailles du cri, sous nos propres mortiers et obusiers, cibles et canons, nous allons avec des bouches édentées, des langues en débris, des lèvres saccagées, allons sans plus pouvoir, allons à peine, marchons dedans nos bouches vides, dedans nos bouches au palais saccagé où roi et chien sont gisants bien visibles au milieu des dalles, scrupuleusement inévitables, et nous buttons, buttons sur leurs dépouilles, buttons en criant un cri qui s’ajoute au cri

 

 

bouche édentée, langue morte, si rétrécie maintenant la vie à vivre, si petite, là, la vie à vivre maintenant, plus rien à ramasser, plus grand chose à cultiver, plus rien à chercher ni attendre, aller encore mais où ? mais à la recherche de quoi ? nulle couronne à forger pour nos crânes, nul os à déterrer pour nos crocs, aller raide puisque plus à se baisser pour glaner, aller sans colonne vertébrale à articuler, sans hanches à manier, aller pourtant cependant puisque cela à faire, cela qui nous est obligatoire, zéro choix là, continuer, pas le choix d’un seul choix, aller au sein de notre cri barbare qui rouille jusqu’à l’or de nos songes, jusqu’aux flammes de nos anciennes turpitudes qui aujourd’hui même ne sont vraiment plus rien du tout

 

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